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Le médecin, son patient et les vacances en altitude

Randonneurs en famille l’été ou passionnés de ski, alpinistes dans les massifs européens ou plus lointains, nombreux sont nos patients qui nous interrogent sur les effets de l’altitude, le froid, le manque d’oxygène.

Le développement des loisirs, les facilités modernes des transports, le vieillissement général de la population conduisent certains de nos patients, porteurs d’une maladie chronique, à envisager un séjour en altitude. Mais aussi l’accroissement du temps libre, la recherche d’un bien-être, d’une santé préservée en milieu écologiquement plus favorable, parfois même la recherche d’une performance sportive personnelle conduisent bien souvent à pratiquer une activité physique en terrain de montagne.

Les statistiques des fédérations sportives¹ permettent de connaitre le nombre de licenciés et leur catégorie d’âge. La randonnée pédestre rassemble environ 220.000 pratiquants licenciés, dont l’âge médian est de 62 ans, plus souvent des femmes (61%). Le randonneur pratique le plus souvent en altitude modeste. La fédération de la montagne et escalade, FFME, 90.000 licenciés est plus variée dans ses activités, escalade, alpinisme, neige, ski de montagne, canyoning, treks lointains et haute altitude. Population plus jeune, âge médian des licenciés 24 ans, 40% féminine.

Mais la tendance à l’individualisation des activités sportives, le nombre grandissant des pratiquants hors-clubs permettent d’évaluer à 21 millions en France le nombre d’amateurs de sports de nature, montagne ou séjours en altitude.

A partir de quelle altitude doit-on évoquer des modifications physiologiques de notre organisme, quels sont les risques, comment les prévenir. Comment renseigner au mieux nos patients pour que « Grace à vous, Docteur, mes vacances se sont bien passées ! »

Une thèse réalisée auprès de médecins généralistes libéraux² avec le concours de la commission médicale de la fédération française de la montagne et escalade, a tenté de préciser les réponses spontanément apportées par nos confrères aux questionnements de leurs patients au sujet des interactions entre leur pathologie chronique et un séjour en altitude.

Et les dispositions récentes, introduites dans la Loi de Santé du 15 décembre 2015, inscrivent la prescription du sport-santé parmi l’arsenal thérapeutique maintenant à disposition de nos confrères. 

 

Qu’est-ce que l’altitude

Nous ne sommes pas tous égaux face à l’altitude, certaines populations népalaises ou andines, natifs de hauts plateaux, ont eu le temps, au fil des générations, de développer des mécanismes d’adaptation que n’ont pas les habitants des plaines, brusquement transportés dans des contrées certes magnifiques mais en ambiance hypoxique, froide, parfois franchement hostile pour notre organisme.

On parlera de basse altitude au-dessous de 1000 mètres, sans aucun effet ressenti.

Jusqu’à 2000 mètres, moyenne altitude, dont les effets seront ressentis à l’effort maximal.

Entre 2000 et 5500 mètres, nous sommes en haute altitude, les effets en seront ressentis pour un exercice modéré, voire au repos.

Au-dessus de 5500 mètres et jusqu’au plus haut sommet (Everest 8848m) c’est la zone de très haute altitude. Un bref séjour pour une ascension est courant, sous réserve d’un très bon entrainement, et d’une acclimatation bien conduite mais ses conséquences toujours très délétères pour l’organisme surtout si l’exposition à cette hauteur se prolonge. On estime que toute vie prolongée y est impossible.

Au-delà des conséquences directes de l’altitude, selon l’activité pratiquée et la zone géographique choisie, vont venir s’ajouter un effort physique inhabituel, des conditions de confort de vie et d’isolement plus sévères, un changement de climat et de nourriture. Quand ce n’est pas la promiscuité du groupe de trekkeurs vite insupportable !

 

Qu’est-ce que l’hypoxie d’altitude

La baisse de la pression atmosphérique en altitude induit une baisse de la pression partielle d’oxygène dans l’air ambiant respiré. Le nombre de molécules d’oxygène ainsi disponibles pour le fonctionnement de chaque cellule de notre organisme va diminuer en relation directe avec l’altitude atteinte.

Et de façon très schématique notre « puissance » cellulaire, par exemple la force des muscles de nos jambes, va diminuer d’un tiers à 3200 m, de moitié à 5500 mètres et des deux tiers vers 8800 mètres En théorie, à cette altitude maximale du toit du monde, nos seules capacités d’oxygénation permettent de maintenir notre métabolisme de base, sans pouvoir prétendre au moindre effort ni même assurer la lutte contre le froid !

 

Peut-on « s’adapter » à l’altitude ?

L’accommodation est une phase initiale de réponse immédiate de l’organisme à une exposition aigue à l’hypoxie d’altitude. Par exemple la montée en téléphérique à l’Aiguille du Midi 3842m. L’organisme va déclencher des réactions immédiates essentiellement ventilatoires et circulatoires, tachycardie et hyperventilation. Ces réactions bénéfiques permettent un meilleur transport d’oxygène vers les cellules mais demandent en contrepartie une surcharge de travail cardiaque et pulmonaire. Pour certains la montée des escaliers de la passerelle sommitale de l’Aiguille du Midi sera une épreuve d’effort. Contre-indication logique : l’insuffisance respiratoire ou cardiaque.

Si l’exposition à l’hypoxie se prolonge au-delà de quelques heures l’organisme met en jeu des mécanismes physiologiques permettant de corriger les contraintes de l’environnement. C’est la période d’acclimatation. Des capteurs carotidiens et rénaux sensibles à l’oxygène déclenchent des processus plus économiques d’adaptation, le cœur se ralentit, la respiration reste élevée, enfin une polyglobulie va peu à peu s’installer, efficace en 8 à 10 jours, qui accroit les capacités de transport d’oxygène vers les tissus. Une fois cette adaptation bien établie et stabilisée on considère que le sujet est en état d’acclimatement, tout à fait apte à effectuer des activités physiques en haute altitude.

Néanmoins en très haute altitude, plus de 5000m, après plusieurs semaines d’exposition, l’état physique et mental va progressivement se détériorer. Durant cette inexorable phase de dégradation, on observe une importante perte de masse corporelle, musculaire, d’autant plus sévère que l’altitude de séjour est élevée.

 

Pour le médecin : Quelles conséquences de l’hypoxie³ sur notre organisme ?

L’adaptation à l’altitude est parfois insuffisante, surtout dans les premières heures d’exposition, en phase d’accommodation.

Hypoxie et performances physiques, la VO2max : le manque d’oxygène n’est pas très invalidant au repos en altitude. Mais dès que l’organisme augmente sa dépense énergétique, travail, marche, ascension, l’hypoxie devient vite un facteur limitant la performance.

La consommation maximale d’oxygène, VO2max, qui mesure les capacités physiques aérobies d’un sujet diminue progressivement en altitude. Au sommet du Mont-Blanc, 4810m nous n »’aurons que 70% de nos capacités physiques par rapport au niveau de la mer. A L’Everest 20% seulement à peine assez pour assurer le métabolisme de base, la lutte contre le froid et pour les plus en forme une marche lente !

Le paradoxe est que les athlètes très entrainés en endurance peuvent perdre encore plus de performance avec l’altitude, surtout si l’acclimatement été négligé et l’effort intense (course de trail par ex.)

C’est une fausse idée que de croire que si l’on est entrainé on ne souffrira pas de trouble d’acclimatation conséquence de l’hypoxie d’altitude.

Hypoxie et notre système respiratoire : l’hypoxie de l’air inspiré entraine une hypoxémie qui elle-même déclenche une hyperventilation réflexe par stimulation de chémorécepteurs vers les centres bulbaires. Cette hyperventilation va augmenter l’élimination du CO2 responsable d’une alcalose respiratoire. Situation qui limite alors peu à peu l’hyperventilation et provoque une élimination accrue de bicarbonates par le rein avec réabsorption d’ions H+.

Mais pendant ce temps d’accommodation l’hypoxie a provoqué une hypertension artérielle pulmonaire, qui associée à l’augmentation du débit cardiaque, et à une certaine inflammation des parois alvéolo-capillaire est responsable d’une suffusion intra-alvéolaire qui explique l’œdème pulmonaire de haute altitude OPHA surtout en phase nocturne.

Hypoxie et fonctions cérébrales : les perturbations du système nerveux central n’apparaissent qu’à des altitudes plus élevées.

Chez l’adulte le sommeil est perturbé en altitude dès 3500m. Difficultés d’endormissement, diminution du sommeil profond, réveils intercurrents (et pas seulement à cause des ronfleurs de refuges !). Une respiration périodique de type Cheynes-Stokes apparait dès 3700m avec pauses respiratoires, apnées d’origine centrale, parfois longues, 20 secondes. Ces pauses respiratoires, responsables d’une hypoxémie, arythmies cardiaques favorisent l’apparition d’œdème pulmonaire nocturne. Les sherpas népalais, bon répondeurs à l’hypoxie ne font pas d’apnée nocturne. Le jeune enfant, moins de deux ans, présente une grande sensibilité à l’hypoxémie d’altitude. Dès 1800/2000m le risque d’apnée du sommeil est majoré chez le nourrisson. Quel intérêt d’ailleurs pour nos tous petits de passer une semaine dans un studio de location en station d’altitude de sports d’hiver au risque d’une apnée du sommeil aux conséquences parfois dramatique, pour le seul loisir des parents ?

L’inhalation d’O2 restaure immédiatement une ventilation régulière. La prise d’acétazolamide est également efficace, mais au prix de levers fréquents dans l’inconfort de la nuit froide…pour uriner.

La prise d’hypnotique est déconseillée car elle aggrave les phénomènes de ventilation périodique… et augmente la puissance des ronflements perturbateurs en refuge !

Les fonctions supérieures sont aussi atteintes par l’hypoxie d’altitude. Jugement, attention, concentration sont altérés au point de conduire à des prises de risques ou décisions inadaptées. En période de mauvaise accommodation, les symptômes de Mal Aigu des Montagnes MAM (nausées, troubles de l’appétit, céphalées, asthénie, irritabilité) viennent aggraver ces difficultés de concentration et perturber les taches fines ou la nécessaire réflexion sereine.

Le métabolisme de l’eau et des sels : l’altitude perturbe notablement le métabolisme de l’eau et des sels. Si l’acclimatation est correcte, la diurèse augmente, le volume plasmatique diminue. Si la montée en altitude a été trop forte, chez un sujet non encore acclimaté, la rétention hydrique va surcharger la circulation pulmonaire, aggraver l’œdème notamment cérébral. Cette rétention hydrique avec extravasation cellulaire cutanée, pulmonaire, cérébrale accentue l’œdème. Alors même que l’hyperventilation accentue la déshydratation. C’est une erreur de croire que boire en altitude accentue l’œdème.

Effets sur la circulation : l’altitude modifie peu la pression artérielle. Tout au plus une petite augmentation en début d’accommodation. Mais c’est surtout la baisse du volume plasmatique, la déshydratation et l’hyperviscosité conséquence de la polyglobulie réactionnelle qui vont entrainer des troubles de la microcirculation. Cérébrale notamment avec contre-indication formelle à l‘altitude aux patients ayant des antécédents d’avc. Hémorragies ou thromboses rétiniennes, volontiers chez le diabétique. Phlébo-thromboses périphériques quand on ajoute le risque des longues stations assises en avion ou bus. Gelures enfin par exposition au froid d’un sujet mal équipé et surtout mal hydraté.

Le cœur s’accélère au début du séjour, puis ralentit progressivement, adapte même sa fréquence maximale à l’effort, effet bloquant protecteur après acclimatement. Un cœur sain est parfaitement apte à l’effort en altitude. Les antécédents d’angor, d’angioplastie, d’infarctus, d’hypertension ne sont pas une contre-indication formelle : A la condition d’être parfaitement stabilisés, asymptomatiques et leur traitement non interrompu le patient va préciser avec son médecin les limites raisonnables d’altitude, d’effort, d’isolement de conduite à tenir en cas d’évolution.

 


¹ Atlas national des fédérations sportives, ministère des sports 2012

² Gilles de Taffin, thèse pour le diplôme de docteur en médecine générale, faculté de médecine de Strasbourg avril 2013

³ JP Richalet, Médecine de l’alpinisme Masson éditeur